Les copains d'abord

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-Non, ce n'était pas le radeau

De la Méduse, ce bateau,

Qu'on se le dis' au fond des ports,

Dis' au fond des ports,

Il naviguait en pèr' peinard

Sur la grand' mare des canards,

Et s'app'lait les Copains d'abord

Les Copains d'abord.

 

Ses fluctuat nec mergitur

C'était pas d'la litteratur',

N'en déplaise aux jeteurs de sort,

Aux jeteurs de sort,

Son capitaine et ses mat'lots

N'étaient pas des enfants d'salauds,

Mais des amis franco de port,

Des copains d'abord.

 

C'étaient pas des amis de lux',

Des petits Castor et Pollux,

Des gens de Sodome et Gomorrh',

Sodome et Gomorrh',

C'étaient pas des amis choisis

Par Montaigne et La Boeti',

Sur le ventre ils se tapaient fort,

Les copains d'abord.

 

C'étaient pas des anges non plus,

L'Évangile, ils l'avaient pas lu,

Mais ils s'aimaient tout's voil's dehors,

Tout's voil's dehors,

Jean, Pierre, Paul et compagnie,

C'était leur seule litanie

Leur Credo, leur Confiteor,

Aux copains d'abord.

 

Au moindre coup de Trafalgar,

C'est l'amitié qui prenait l'quart,

C'est elle qui leur montrait le nord,

Leur montrait le nord.

Et quand ils étaient en détresse,

Qu'leurs bras lancaient des S.O.S.

, On aurait dit les sémaphores,

Les copains d'abord.

 

Au rendez-vous des bons copains,

Y'avait pas souvent de lapins,

Quand l'un d'entre eux manquait a bord,

C'est qu'il était mort.

Oui, mais jamais, au grand jamais,

Son trou dans l'eau n'se refermait,

Cent ans après, coquin de sort !

Il manquait encor'.

 

Des bateaux j'en ai pris beaucoup,

Mais le seul qui ait tenu le coup,

Qui n'ai jamais viré de bord,

Mais viré de bord,

Naviguait en père peinard

Sur la grand' mare des canards,

Et s'app'lait les Copains d'abord

Les Copains d'abord.

 

 

Dans l'eau de la claire fontaine

 

Dans l'eau de la claire fontaine

Elle se baignait toute nue.

Une saute de vent soudaine

Jeta ses habits dans les nues.

 

En détresse, elle me fit signe,

Pour la vêtir, d'aller chercher

Des monceaux de feuilles de vigne,

Fleurs de lis ou fleurs d'oranger.

 

Avec des pétales de roses,

Un bout de corsage lui fit.

La belle n'était pas bien grosse

Une seule rose a suffit.

 

Avec le pampre de la vigne,

Un bout de cotillon lui fit,

Mais la belle était si petite

Qu'une seule feuille a suffi.

 

Elle me tendit ses bras, ses lèvres,

Comme pour me remercier...

Je les pris avec tant de fièvre

Qu'ell' fut toute déshabillée.

 

Le jeu dut plaire à l'ingénue,

Car, à la fontaine souvent,

Ell' s'alla baigner toute nue

En priant Dieu qu'il fit du vent,

Qu'il fit du vent...

 

 

L’orage

Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps

Le beau temps me dégoute et m'fait grincer les dents

Le bel azur me met en rage

Car le plus grand amour qui m'fut donné sur terr'

Je l'dois au mauvais temps,

je l'dois à Jupiter Il me tomba d'un ciel d'orage

 

Par un soir de novembre, à cheval sur les toits

Un vrai tonnerr' de Brest, avec des cris d'putois

Allumait ses feux d'artifice

Bondissant de sa couche en costume de nuit

Ma voisine affolée vint cogner à mon huis

En réclamant mes bons offices

 

" Je suis seule et j'ai peur, ouvrez-moi, par pitié

Mon époux vient d'partir faire son dur métier

Pauvre malheureux mercenaire

Contraint d'coucher dehors quand il fait mauvais temps

Pour la bonne raison qu'il est représentant

D'un' maison de paratonnerres "

 

En bénissant le nom de Benjamin Franklin

Je l'ai mise en lieu sûr entre mes bras câlins

Et puis l'amour a fait le reste

Toi qui sèmes des paratonnerr's à foison

Que n'en as-tu planté sur ta propre maison

Erreur on ne peut plus funeste

 

Quand Jupiter alla se faire entendre ailleurs

La belle, ayant enfin conjuré sa frayeur

Et recouvré tout son courage

Rentra dans ses foyers fair' sécher son mari

En m'donnant rendez-vous les jours d'intempérie

Rendez-vous au prochain orage

 

A partir de ce jour j'n'ai plus baissé les yeux

J'ai consacré mon temps à contempler les cieux

A regarder passer les nues

A guetter les stratus, à lorgner les nimbus

A faire les yeux doux aux moindres cumulus

Mais elle n'est pas revenue

 

Son bonhomm' de mari avait tant fait d'affair's

Tant vendu ce soir-là de petits bouts de fer

Qu'il était dev'nu millionnaire

Et l'avait emmenée vers des cieux toujours bleus

Des pays imbécil's où jamais il ne pleut

Où l'on ne sait rien du tonnerre

 

Dieu fass' que ma complainte aille, tambour battant

Lui parler de la pluie, lui parler du gros temps

Auxquels on a t'nu tête ensemble

Lui conter qu'un certain coup de foudre assassin

Dans le mill' de mon cœur a laissé le dessin

D'un' petit' fleur qui lui ressemble

 

 

La Chasse aux papillons

 

Un bon petit diable à la fleur de l'âge

La jambe légère et l'œil polisson

Et la bouche pleine de joyeux ramages

Allait à la chasse aux papillons

 

Comme il atteignait l'orée du village

Filant sa quenouille, il vit Cendrillon

Il lui dit : "Bonjour, que Dieu te ménage

J't'emmène à la chasse aux papillons"

 

Cendrillon ravie de quitter sa cage

Met sa robe neuve et ses botillons

Et bras d'ssus bras d'ssous vers les frais bocages

Ils vont à la chasse aux papillons

 

Il ne savait pas que sous les ombrages

Se cachait l'amour et son aiguillon

Et qu'il transperçait les cœurs de leur âge

Les cœurs des chasseurs de papillons

 

Quand il se fit tendre, elle lui dit : "J'présage

Qu'c'est pas dans les plis de mon cotillon

Ni dans l'échancrure de mon corsage

Qu'on va à la chasse aux papillons"

 

Sur sa bouche en feu qui criait : "Sois sage !"

Il posa sa bouche en guise de bâillon

Et c'fut l'plus charmant des remue-ménage

Qu'on ait vu d'mémoir' de papillon

 

Un volcan dans l'âme, ils r'vinrent au village

En se promettant d'aller des millions

Des milliards de fois, et mêm' davantage

Ensemble à la chasse aux papillons

 

Mais tant qu'ils s'aim'ront, tant que les nuages

Porteurs de chagrins, les épargneront

Il f'ra bon voler dans les frais bocages

Ils f'ront pas la chasse aux papillons

 

 

Marquise

Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux,

Souvenez-vous qu'à mon âge

Vous ne vaudrez guères mieux.

{2x}

 

Le temps aux plus belles choses

Se plaîst à faire un affront

Et saura faner vos roses

Comme il a ridé mon front.

{2x}

 

Le mesme cours des planètes

Règle nos jours et nos nuits

On m'a vu ce que vous estes;

Vous serez ce que je suis.

{2x}

 

Peut-être que je serai vieille,

Répond Marquise, cependant

J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,

Et je t'emmerde en attendant.

 

 

Les trompettes de la renommée

 

Je vivais à l'écart de la place publique,

Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique...

Refusant d'acquitter la rançon de la gloir',

Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir.

Les gens de bon conseil ont su me fair' comprendre

Qu'à l'homme de la ru' j'avais des compt's à rendre

Et que, sous peine de choir dans un oubli complet,

J' devais mettre au grand jour tous mes petits secrets.

 

{Refrain:}

Trompettes

De la Renommée,

Vous êtes

Bien mal embouchées !

 

Manquant à la pudeur la plus élémentaire,

Dois-je, pour les besoins d' la caus' publicitaire,

Divulguer avec qui, et dans quell' position

Je plonge dans le stupre et la fornication ?

Si je publi' des noms, combien de Pénélopes

Passeront illico pour de fieffé's salopes,

Combien de bons amis me r'gard'ront de travers,

Combien je recevrai de coups de revolver !

 

A toute exhibition, ma nature est rétive,

Souffrant d'un' modesti' quasiment maladive,

Je ne fais voir mes organes procréateurs

A personne, excepté mes femm's et mes docteurs.

Dois-je, pour défrayer la chroniqu' des scandales,

Battre l' tambour avec mes parti's génitales,

Dois-je les arborer plus ostensiblement,

Comme un enfant de chœur porte un saint sacrement ?

 

Une femme du monde, et qui souvent me laisse

Fair' mes quat' voluptés dans ses quartiers d' noblesse,

M'a sournois'ment passé, sur son divan de soi',

Des parasit's du plus bas étage qui soit...

Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,

Ai-j' le droit de ternir l'honneur de cette dame

En criant sur les toits, et sur l'air des lampions :

" Madame la marquis' m'a foutu des morpions ! " ?

 

Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente

Avec le Pèr' Duval, la calotte chantante,

Lui, le catéchumène, et moi, l'énergumèn',

Il me laisse dire merd', je lui laiss' dire amen,

En accord avec lui, dois-je écrir' dans la presse

Qu'un soir je l'ai surpris aux genoux d' ma maîtresse,

Chantant la mélopé' d'une voix qui susurre,

Tandis qu'ell' lui cherchait des poux dans la tonsure

 

? Avec qui, ventrebleu ! faut-il que je couche

Pour fair' parler un peu la déesse aux cent bouches

? Faut-il qu'un' femme célèbre, une étoile, une star,

Vienn' prendre entre mes bras la plac' de ma guitar' ?

Pour exciter le peuple et les folliculaires,

Qui'est-c' qui veut me prêter sa croupe populaire,

Qui'est-c' qui veut m' laisser faire, in naturalibus,

Un p'tit peu d'alpinism' sur son mont de Vénus ?

 

Sonneraient-ell's plus fort, ces divines trompettes,

Si, comm' tout un chacun, j'étais un peu tapette,

Si je me déhanchais comme une demoiselle

Et prenais tout à coup des allur's de gazelle ?

Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles

De jouer le jeu d' l'amour en inversant les rôles,

Qu'ça confère à ma gloire un' onc' de plus-valu',

Le crim' pédérastique, aujourd'hui, ne pai' plus.

 

Après c'tour d'horizon des mille et un' recettes

Qui vous val'nt à coup sûr les honneurs des gazettes,

J'aime mieux m'en tenir à ma premièr' façon

Et me gratter le ventre en chantant des chansons.

Si le public en veut, je les sors dare-dare,

S'il n'en veut pas je les remets dans ma guitare. Refusant d'acquitter la rançon de la gloir',

Sur mon brin de laurier je m'endors comme un loir.

 

 

 

Le mauvais sujet repenti

 

Elle avait la taill' faite au tour,

Les hanches pleines,

Et chassait l' mâle aux alentours De la Mad'leine...

A sa façon d' me dir' : "Mon rat,

Est-c' que j' te tente ?"

Je vis que j'avais affaire à Un' débutante...

 

L'avait l' don, c'est vrai, j'en conviens,

L'avait l' génie,

Mais sans technique, un don n'est rien

Qu'un' sal' manie...

Certes, on ne se fait pas putain

Comme on s' fait nonne.

C'est du moins c' qu'on prêche, en latin,

A la Sorbonne...

 

Me sentant rempli de pitié

Pour la donzelle,

J' lui enseignai, de son métier, Les p'tit's ficelles...

J' lui enseignai l' moyen d' bientôt

Faire fortune,

En bougeant l'endroit où le dos

R'ssemble à la lune...

 

Car, dans l'art de fair' le trottoir,

Je le confesse,

Le difficile est d' bien savoir Jouer des fesses...

On n' tortill' pas son popotin

D' la mêm' manière,

Pour un droguiste, un sacristain,

Un fonctionnaire...

 

Rapidement instruite par

Mes bons offices,

Elle m'investit d'une part D' ses bénéfices...

On s'aida mutuellement,

Comm' dit l' poète.

Ell' était l' corps, naturell'ment,

Puis moi la tête...

 

Un soir, à la suite de Manœuvres douteuses,

Ell' tomba victim' d'une

Maladie honteuses...

Lors, en tout bien, toute amitié,

En fille probe,

Elle me passa la moitié

De ses microbes...

 

Après des injections aiguës

D'antiseptique,

J'abandonnai l' métier d' cocu

Systématique...

Elle eut beau pousser des sanglots,

Braire à tu'-tête,

Comme je n'étais qu'un salaud,

J' me fis honnête...

 

Sitôt privé' de ma tutell',

Ma pauvre amie

Courrut essuyer du bordel

Les infamies...

Paraît qu'ell' s' vend même à des flics,

Quell' décadence !

Y a plus d' moralité publiqu'

Dans notre France...

 

 

Les amours d'antan

 

Moi, mes amours d'antan c'était de la grisette

Margot, la blanche caille, et Fanchon, la cousette...

Pas la moindre noblesse, excusez-moi du peu,

C'étaient, me direz-vous, des grâces roturières,

Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière..

. Mon prince, on a les dam's du temps jadis - qu'on peut...

 

Car le cœur à vingt ans se pose où l'œil se pose,

Le premier cotillon venu vous en impose,

La plus humble bergère est un morceau de roi.

Ça manquait de marquise, on connut la soubrette,

Faute de fleur de lys on eut la pâquerette,

Au printemps Cupidon fait flèche de tout bois..

 

. On rencontrait la belle aux Puces, le dimanche :

"Je te plais, tu me plais..." et c'était dans la manche,

Et les grands sentiments n'étaient pas de rigueur.

"Je te plais, tu me plais. Viens donc beau militaire"

Dans un train de banlieue on partait pour Cythère,

On n'était pas tenu même d'apporter son cœur...

 

Mimi, de prime abord, payait guère de mine,

Chez son fourreur sans doute on ignorait l'hermine,

Son habit sortait point de l'atelier d'un dieu...

Mais quand, par-dessus le moulin de la Galette,

Elle jetait pour vous sa parure simplette,

C'est Psyché tout entier' qui vous sautait aux yeux.

 

Au second rendez-vous y' avait parfois personne,

Elle avait fait faux bond, la petite amazone,

Mais l'on ne courait pas se pendre pour autant...

La marguerite commence avec Suzette,

On finissait de l'effeuiller avec Lisette

Et l'amour y trouvait quand même son content.

 

C'étaient, me direz-vous, des grâces roturières,

Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière,

Mais c'étaient mes amours, excusez-moi du peu,

Des Manon, des Mimi, des Suzon, des Musette,

Margot la blanche caille, et Fanchon, la cousette

, Mon prince, on a les dam's du temps jadis - qu'on peut...

 

 

- Georges Brassens (1921 - 1981 )

- Les copains d'abord

- dans l’eau de la claire fontaine

- L’orage

- Marquise

- Les trompettes de la renommée

- Le mauvais sujet repenti

- Les Amours d’Antan