Simples Voeux Rustiques

A vous troupe légère

Qui d'aile passagère

Par le monde volez,

Et d'un sifflant murmure

L'ombrageuse verdure

Doucement ébranlez,

J'offre ces violettes,

Ces lys et ces fleurettes,

Et ces roses ici,

Ces vermeillettes roses

Tout fraîchement écloses

Et ces oeillets aussi.

De votre douce haleine

Eventez cette plaine,

Eventez ce séjour

Cependant que j'ahanne

A mon blé que je vanne

A la chaleur du jour.

 

 

 

LES REGRETS

(Heureux qui comme Ulysse)

 

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Ou comme celui-là qui conquit la Toison,

Et puis est retourné plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge!

 

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province et beaucoup davantage?

 

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux

, Que des palais romains le front audacieux,

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine

 

. Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,

Plus mon petit Liré que le mont Palatin,

Et plus que l'air marin la douceur angevine.

J'aime la liberté, et languis en service

 

J'aime la liberté, et languis en service,

Je n'aime point la cour, et me faut courtiser,

Je n'aime la feintise, et me faut déguiser,

J'aime simplicité, et n'apprends que malice ;

 

Je n'adore les biens, et sers à l'avarice,

Je n'aime les honneurs, et me les faut priser,

Je veux garder ma foi, et me la faut briser,

Je cherche la vertu, et ne trouve que vice !

 

Je cherche le repos, et trouver ne le puis

, J'embrasse le plaisir, et n'éprouve qu'ennuis,

Je n'aime à discourir, en raison je me fonde :

 

J'ai le corps maladif, et me faut voyager,

Je suis né pour la Muse, on me fait ménager ;

Ne suis-je pas, Morel, le plus chétif du monde ?

 

Joachim Du Bellay (1525 - vers 1560)

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