Les conquérants

 

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,

Fatigués de porter leurs misères hautaines,

De Palos de Moguer, routiers et capitaines

Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

 

Ils allaient conquérir le fabuleux métal

Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,

Et les vents alizés inclinaient leurs antennes

Aux bords mystérieux du monde Occidental.

 

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,

L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques

Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;

 

Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,

Ils regardaient monter en un ciel ignoré

Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.

 

Maris stella

 

Sous les coiffes de lin, toutes, croisant leurs bras

Vêtus de laine rude ou de mince percale,

Les femmes, à genoux sur le roc de la cale,

Regardent l'Océan blanchir l'île de Batz.

 

Les hommes, pères, fils, maris, amants, là-bas,

Avec ceux de Paimpol, d'Audierne et de Cancale,

Vers le Nord, sont partis pour la lointaine escale.

Que de hardis pêcheurs qui ne reviendront pas !

 

Par-dessus la rumeur de la mer et des côtes

Le chant plaintif s'élève, invoquant à voix hautes

L'Étoile sainte, espoir des marins en péril ;

 

Et l'Angélus, courbant tous ces fronts noirs de hale,

Des clochers de Roscoff à ceux de Sybiril

S'envole, tinte et meurt dans le ciel rose et pâle.

- José Maria de Heredia (1842-1905)

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- Maris Stella