Le Dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière

Accrochant follement aux herbes des haillons

D'argent; où le soleil de la montagne fière,

Luit; C'est un petit val qui mousse de rayons.

 

Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pale dans son lit vert où la lumière pleut.

 

Les pieds dans les glaïeuls, il dort.Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme:

Nature, berce-le chaudement: il a froid.

 

Les parfums ne font plus frissonner sa narine;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.

 

Le Bateau Ivre

 

Comme je descendais des Fleuves impassibles,

Je ne me sentis plus tiré par les haleurs :

Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles

Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

 

J'étais insoucieux de tous les équipages,

Porteur de blés flamands et de cotons anglais.

Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages

Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

 

Dans les clapotements furieux des marées,

Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,

Je courus ! Et les Péninsules démarrées

N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

 

La tempête a béni mes éveils maritimes.

Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots

Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,

Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

 

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,

L'eau verte pénétra ma coque de sapin

Et des taches de vins bleus et des vomissures

Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

 

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème

De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,

Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême

Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

 

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires

Et rythmes lents sous les rutilements du jour,

Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,

Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

 

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes

Et les ressacs et les courants : Je sais le soir,

L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,

Et j'ai vu quelques fois ce que l'homme a cru voir !

 

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,

Illuminant de longs figements violets,

Pareils à des acteurs de drames très-antiques

Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

 

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,

Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,

La circulation des sèves inouïes

Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

 

J'ai suivi, des mois pleins, pareilles aux vacheries

Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,

Sans songer que les pieds lumineux des Maries

Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

 

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyablesFlorides

Mêlant aux fleurs des yeux des panthères à peaux

D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides

Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

 

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses

Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !

Des écroulement d'eau au milieu des bonacees,

Et les lointains vers les gouffres cataractant !

 

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !

Échouages hideux au fond des golfes bruns

Où les serpents géants dévorés de punaises

Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

 

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades

Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.

- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades

Et d'ineffables vents m'ont ailé par instant.

 

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,

La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux

Montait vers moi ses fleurs d'ombres aux ventouses jaunes

Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

 

Presque île, balottant sur mes bords les querelles

Et les fientes d'oiseaux clabotteurs aux yeux blonds

. Et je voguais lorsqu'à travers mes liens frêles

Des noyés descendaient dormir à reculons !

 

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,

Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,

Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses

N'auraient pas repéché la carcasse ivre d'eau ;

 

Libre, fumant, monté de brumes violettes,

Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur

Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,

Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

 

Qui courais, taché de lunules électriques,

Planche folle, escorté des hippocampes noirs,

Quand les juillets faisaient couler à coups de trique

Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

 

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues

Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,

Fileur éternel des immobilités bleues,

Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

 

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles

Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :

- Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,

Million d'oiseaux d'or, ô future vigueur ?

 

- Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.

Toute lune est atroce et tout soleil amer :

L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.

Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

 

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé

Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche

Un bateau frêle comme un papillon de mai.

 

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,

Enlever leurs sillages aux porteurs de cotons,

Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,

Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

 

 

Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien,

Mais l'amour infini me montera dans l'âme ;

Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, heureux- comme avec une femme.

 

Au Cabaret-Vert : cinq heures du soir

Depuis huit jours j'avais déchiré mes bottines

Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.

- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines

Du beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

 

Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table

Verte : je contemplai les sujets très naïfs

De la tapisserie. - Et ce fut adorable,

Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

 

-Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! - Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,

Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse

D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse

Que dorait un rayon de soleil arriéré.

 

 

Ma Bohème

je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;

Mon paletot soudain devenait idéal;

J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;

Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

 

Mon unique culotte avait un large trou.

Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

 

Et je les écoutais, assis au bord des routes,

Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

 

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques

De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!

 

Ophélie

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles

La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles..

On entend dans les bois lointains des hallalis.

 

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie

Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;

Voici plus de mille ans que sa douce folie

Murmure sa romance à la brise du soir.

 

Le vent baise ses seins et déploie en corolle

Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;

Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,

Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

 

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;

Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,

Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile:

-- Un chant mystérieux tombe des astres d'or.

 

ô pale Ophélia! belle comme la neige!

Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!

-- C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège

T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté;

 

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,

A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits;

Que ton coeur écoutait le chant de la nature

Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits;

 

C'est que la voix des mers folles, immense râle,

Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;

C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,

Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux!

 

Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre folle!

Tu te fondais à lui comme une neige au feu:

Tes grandes visions étranglaient ta parole

-- Et l'infini terrible effara ton oeil bleu !--

 

Et le poète dit qu'aux rayons des étoiles

Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,

Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,

La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

 

 

 

Rêve pour l'hiver

L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose

Avec des coussins bleus.

Nous serons bien.Un nid de baisers fous repose

Dans chaque coin moelleux.

 

Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,

Grimacer les ombres des soirs,

Ces monstruosités hargneuses, populace

De démons noirs et de loups noirs.

 

Puis tu te sentiras la joue égratignée...

Un petit baiser, comme une folle araignée,

Te courra par le cou...

 

Et tu me diras: "Cherche!" en inclinant la tête,

Et nous prendrons du temps à trouver cette bête

Qui voyage beaucoup...

 

 

Première soirée

 

Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

 

Assise sur ma grande chaise,

Mi-nue, elle joignait les mains.

Sur le plancher frissonnaient d'aise

Ses petits pieds si fins, si fins.

 

- Je regardai, couleur de cire

Un petit rayon buissonnier

Papillonner dans son sourire

Et sur son sein, - mouche ou rosier.

 

- Je baisai ses fines chevilles.

Elle eut un doux rire brutal

Qui s'égrenait en claires trilles,

Un joli rire de cristal.

 

Les petits pieds sous la chemise

Se sauvèrent : "Veux-tu en finir !"

- La première audace permise,

Le rire feignait de punir !

 

- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,

Je baisai doucement ses yeux :

- Elle jeta sa tête mièvre En arrière :

"Oh ! c'est encor mieux !...

 

Monsieur, j'ai deux mots à te dire..."

- Je lui jetai le reste au sein

Dans un baiser, qui la fit rire

D'un bon rire qui voulait bien...

 

- Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

 

Les réparties de Nina

LUI - Ta poitrine sur ma poitrine,

Hein ? nous irions,

Ayant de l'air plein la narine,

Aux frais rayons

 

Du bon matin bleu, qui vous baigne

Du vin de jour ?...

Quand tout le bois frissonnant saigne

Muet d'amour

 

De chaque branche, gouttes vertes,

Des bourgeons clairs,

On sent dans les choses ouvertes

Frémir des chairs :

 

Tu plongerais dans la luzerne

Ton blanc peignoir,

Rosant à l'air ce bleu qui cerne

Ton grand oeil noir,

 

Amoureuse de la campagne,

Semant partout,

Comme une mousse de champagne,

Ton rire fou :

 

Riant à moi, brutal d'ivresse,

Qui te prendrais

Comme cela, - la belle tresse,

Oh ! - qui boirais

 

Ton goût de framboise et de fraise,

O chair de fleur !

Riant au vent vif qui te baise

Comme un voleur,

 

Au rose, églantier qui t'embête

Aimablement :

Riant surtout, ô folle tête,

A ton amant !

... .............................................

 

Dix-sept ans ! Tu seras heureuse !

Oh ! les grands prés,

La grande campagne amoureuse !

- Dis, viens plus près !...

 

- Ta poitrine sur ma poitrine,

Mêlant nos voix,

Lents, nous gagnerions la ravine,

Puis les grands bois !...

 

Puis, comme une petite morte,

Le coeur pâmé,

Tu me dirais que je te porte,

L'oeil mi-fermé...

 

Je te porterais, palpitante,

Dans le sentier :

L'oiseau filerait son andante :

Au Noisetier...

 

Je te parlerais dans ta bouche ;

J'irais, pressant

Ton corps, comme une enfant qu'on couche,

Ivre du sang

 

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche

Aux tons rosés :

Et te parlant la langue franche...

Tiens !... - que tu sais...

 

Nos grands bois sentiraient la sève,

Et le soleil

Sablerait d'or fin leur grand rêve

Vert et vermeil.

.............................................................

Le soir ?... Nous reprendrons la route

Blanche qui court

Flânant, comme un troupeau qui broute,

Tout à l'entour

 

Les bons vergers à l'herbe bleue

, Aux pommiers tors !

Comme on les sent toute une lieue

Leurs parfums forts !

 

Nous regagnerons le village

Au ciel mi-noir ;

Et ça sentira le laitage

Dans l'air du soir ;

 

Ca sentira l'étable, pleine

De fumiers chauds,

Pleine d'un lent rythme d'haleine

, Et de grands dos

 

Blanchissant sous quelque lumière ;

Et, tout là-bas,

Une vache fientera, fière,

A chaque pas...

 

- Les lunettes de la grand-mère

Et son nez long

Dans son missel ; le pot de bière

Cerclé de plomb,

 

Moussant entre les larges pipes

Qui, crânement,

Fument : les effroyables lippes

Qui, tout fumant,

 

Happent le jambon aux fourchettes

Tant, tant et plus :

Le feu qui claire les couchettes

Et les bahuts.

 

Les fesses luisantes et grasses

D'un gros enfant

Qui fourre, à genoux, dans les tasses,

Son museau blanc

 

Frôlé par un mufle qui gronde

D'un ton gentil,

Et pourlèche la face ronde

Du cher petit...

 

Noire, rogue au bord de sa chaise,

Affreux profil,

Une vieille devant la braise

Qui fait du fil ;

 

Que de choses verrons-nous, chère,

Dans ces taudis,

Quand la flamme illumine, claire,

Les carreaux gris !...

 

- Puis, petite et toute nichée,

Dans les lilas

Noirs et frais : la vitre cachée,

Qui rit là-bas...

 

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !

Ce sera beau.

Tu viendras, n'est-ce pas, et même...

ELLE - Et mon bureau ?

 

Roman

I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.

- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade

, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

 

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin,

- A des parfums de vigne et des parfums de bière...

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon

D'azur sombre, encadré d'une petite branche,

Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

 

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête...

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête...

III

Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,

- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...

 

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...

- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.

Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.

Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.

- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...!

 

- Ce soir-là,... - vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade...

- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

 

Mes petites amoureuses

Un hydrolat lacrymal lave

Les cieux vert-chou :

Sous l'arbre tendronnier qui bave,

Vos caoutchoucs

 

Blancs de lunes particulières

Aux pialats ronds,

Entrechoquez vos genouillères,

Mes laiderons !

 

Nous nous aimions à cette époque,

Bleu laideron !

On mangeait des oeufs à la coque

Et du mouron !

 

Un soir, tu me sacras poète,

Blond laideron :

Descends ici, que je te fouette

En mon giron ;

 

J'ai dégueulé ta bandoline,

Noir laideron ;

Tu couperais ma mandoline

Au fil du front.

 

Pouah ! mes salives desséchées,

Roux laideron,

Infectent encor les tranchées

De ton sein rond !

 

O mes petites amoureuses,

Que je vous hais !

Plaquez de fouffes douloureuses

Vos tétons laids !

 

Piétinez mes vieilles terrines

De sentiment ;

- Hop donc ! soyez-moi ballerines

Pour un moment !...

 

Vos omoplates se déboîtent,

O mes amours !

Une étoile à vos reins qui boitent

Tournez vos tours !

 

Et c'est pourtant pour ces éclanches

Que j'ai rimé ! J

e voudrais vous casser les hanches

D'avoir aimé !

 

Fade amas d'étoiles ratées,

Comblez les coins !

- Vous crèverez en Dieu, bâtées

D'ignobles soins !

 

Sous les lunes particulières

Aux pialats ronds,

Entrechoquez vos genouillères,

Mes laiderons !

 

Le coeur volé

 

Mon triste coeur bave à la poupe,

Mon coeur couvert de caporal :

Ils y lancent des jets de soupe,

Mon triste coeur bave à la poupe :

Sous les quolibets de la troupe

Qui pousse un rire général,

Mon triste coeur bave à la poupe,

Mon coeur couvert de caporal !

 

Ithyphalliques et pioupiesques

Leurs quolibets l'ont dépravé !

Au gouvernail on voit des fresques

Ithyphalliques et pioupiesques.

O flots abracadabrantesques,

Prenez mon coeur, qu'il soit lavé !

Ithyphalliques et pioupiesques

Leurs quolibets l'ont dépravé !

 

Quand ils auront tari leurs chiques,

Comment agir, ô coeur volé ?

Ce seront des hoquets bachiques

Quand ils auront tari leurs chiques :

J'aurai des sursauts stomachiques

, Moi, si mon coeur est ravalé :

Quand ils auront tari leurs chiques

Comment agir, ô coeur volé ?

 

 

- Arthur Rimbaud (1854 - 1891)

- Le dormeur du val

- Le bateau ivre

- Sensations

- Au cabaret vert : cinq heures du soir

- Ma bohème

- Ophélie

- Rêve pour l’hiver

- Première soirée

- Les réparties de Nina

- Roman

- Mes petites amoureuses

- Le cœur volé