(version Originale)

Li mal ne sevent seul venir;

Tout ce m'estoit a avenir,

S'est avenu.

Que sont mi ami devenu

Que j'avoie si pres tenu

Et tant amé ?

Je cuit qu'il sont trop cler semé;

Il ne furent pas bien femé,

Si ont failli.

Itel ami m'ont mal bailli,

C'onques, tant com Diex m'assailli

En maint costé,

N'en vi un seul en mon osté.

Je cuit li vens les a osté,

L'amor est morte.

Ce sont ami que vens enporte,

Et il ventoit devant ma porte

Ses enporta.

C'onques nus ne m'en conforta

Ne du sien riens ne m'aporta.

Ice m'aprent

Qui auques a, privé le prent;

Més cil trop a tart se repent

Qui trop a mis

De son avoir pour fere amis,

Qu'il nes trueve entiers ne demis

A lui secorre.

Or lerai donc fortune corre

Si entendrai a moi rescorre

Si jel puis fere.

« traduction »

Interprétation par Maurice des Ulis

 

Les maux ne savent pas seuls venir;

Tout ce m'était à advenir

S'est advenu.

Que sont mes amis devenus

Que j'avais de si près tenus

Et tant aimés ? J

e crois qu'ils sont trop clair semés;

Ils ne furent pas bien fumés,

(aus)Si sont fanés.

De tels amis ne m'ont pas protégé,

Jamais, quand Dieu m'a assailli

En maint côtés,

N'en vit un seul dans ma demeure,

Je crois le vent les a ôtés,

L'amour est morte.

Ce sont amis que vent emporte

Et il ventait devant ma porte, (aussi)

Les emporta.

Jamais nul ne me conforta

Ni du sien rien ne m'apporta.

Ceci m'apprend :

Ce qu'aucun a, l'ami le prend;

Mais c'est trop tard qu'il se repent

D'avoir trop mis

De son avoir pour faire amis

Qu'il ne trouve entiers ni demis

A son secours. Je laisserai fortune courr(ir),

Et n'entendrai qu'à moi rescousse

Si je puis faire.

 

Version Chantée par Léo Ferré

 

Que sont mes amis devenus

Que j'avais de si près tenus

Et tant aimés

Ils ont été trop clairsemés

Je crois le vent les a ôtés

L'amour est morte

Ce sont amis que vent emporte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta

 

Avec le temps qu'arbres défeuille

Quand il ne reste en branche feuille

Qui n'aille à terre

Avec pauvreté qui m'atterre

Qui de partout me fait la guerre

L'amour est morte

Ne convient pas que vous raconte

Comment je me suis mis à honte

En quelle manière

 

Que sont mes amis devenus

Que j'avais de si près tenus

Et tant aimés

Ils ont été trop clairsemés

Je crois le vent les a ôtés

L'amour est morte

Ce sont amis que vent emporte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta

 

Pauvre sens et pauvre mémoire

M'a Dieu donné le roi de gloire

Et pauvre rente

Et droit au cul quand bise vente

Le vent me vient le vent m'évente

L'amour est morte

Le mal ne sait pas seul venir

Tout ce qui m'était à venir

M'est avenu

M'est avenu

 

 

Rutebeuf

(vers 1332-1280)

- La complainte de Rutebeuf

- version originale

- traduction de Maurice des Ulis

- Version Chantée par Léo Férré