Li mal ne sevent seul venir;
Tout ce m'estoit a avenir,
S'est avenu.
Que sont mi ami devenu
Que j'avoie si pres tenu
Et tant amé ?
Je cuit qu'il sont trop cler semé;
Il ne furent pas bien femé,
Si ont failli.
Itel ami m'ont mal bailli,
C'onques, tant com Diex m'assailli
En maint costé,
N'en vi un seul en mon osté.
Je cuit li vens les a osté,
L'amor est morte.
Ce sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte
Ses enporta.
C'onques nus ne m'en conforta
Ne du sien riens ne m'aporta.
Ice m'aprent
Qui auques a, privé le prent;
Més cil trop a tart se repent
Qui trop a mis
De son avoir pour fere amis,
Qu'il nes trueve entiers ne demis
A lui secorre.
Or lerai donc fortune corre
Si entendrai a moi rescorre
Si jel puis fere.
Les maux ne savent pas seuls venir;
Tout ce m'était à advenir
S'est advenu.
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés ? J
e crois qu'ils sont trop clair semés;
Ils ne furent pas bien fumés,
(aus)Si sont fanés.
De tels amis ne m'ont pas protégé,
Jamais, quand Dieu m'a assailli
En maint côtés,
N'en vit un seul dans ma demeure,
Je crois le vent les a ôtés,
L'amour est morte.
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte, (aussi)
Les emporta.
Jamais nul ne me conforta
Ni du sien rien ne m'apporta.
Ceci m'apprend :
Ce qu'aucun a, l'ami le prend;
Mais c'est trop tard qu'il se repent
D'avoir trop mis
De son avoir pour faire amis
Qu'il ne trouve entiers ni demis
A son secours. Je laisserai fortune courr(ir),
Et n'entendrai qu'à moi rescousse
Si je puis faire.
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu'arbres défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
L'amour est morte
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient le vent m'évente
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est avenu
M'est avenu
(vers 1332-1280)
- La complainte de Rutebeuf
- traduction de Maurice des Ulis
- Version Chantée par Léo Férré