Art poétique

------------------------

De la musique avant toute chose,

Et pour cela préfère l'Impair,

Plus vague et plus soluble dans l'air,

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

 

Il faut aussi que tu n'ailles point

Choisir tes mots sans quelque méprise ;

Rien de plus cher que la chanson grise

Où l'Indécis au Précis se joint.

 

C'est des beaux yeux derrière des voiles,

C'est le grand jour tremblant de midi,

C'est par un ciel d'automne attiédi,

Le bleu fouillis des claires étoiles !

 

Car nous voulons la Nuance encor,

Pas la Couleur, rien que la nuance !

Oh ! la nuance seule fiance

Le rêve au rêve et la flûte au cor !

 

 

Chanson d'automne

----------------------------------------------

Les sanglots longs

Des violons

De l'automne

Blessent mon coeur

D'une langueur

Monotone.

 

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l'heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure;

 

Et je m'en vais

Au vent mauvais

Qui m'emporte

Deçà, delà

Pareil à la

Feuille morte.

 

Le ciel est par dessus....

------------------------------------------------------------

Le ciel est, par-dessus le toit,

Si beau, si calme!

Un arbre, par-dessus le toit,

Berce sa palme.

 

La cloche, dans le ciel qu'on voit,

Doucement tinte,

Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,

Chante sa plainte.

 

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,

Simple et tranquille.

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville.

 

-Qu'as-tu fait, ô toi que voilà

Pleurant sans cesse,

Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,

De ta jeunesse?

 

 

Mon rêve familier

------------------------------------------------

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime.

, Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

 

Car elle me comprend, et mon coeur transparent

Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

 

Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.

Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,

Comme ceux des aimés que la vie exila.

 

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

 

Romances sans paroles

-----------------------------

Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur?

 

O bruit doux de la pluie

Par terre et sur les toits!

Pour un coeur qui s'ennuie

O le chant de la pluie!

 

Il pleure sans raison

Dans ce cœur qui s'écœure.

Quoi! Nulle trahison?...

Ce deuil est sans raison.

 

C'est bien la pire peine

De ne savoir pourquoi

Sans amour et sans haine

Mon cœur a tant de peine!

- Paul Verlaine (1844-1896)

- Art Poétique

- Chanson d’automne

- Le ciel est par-dessus…

- Mon rêve familier

- Romance sans paroles